Joël Schatzman

Le pari de ce livre est que la musique produite depuis plus de 70 ans, dite « contemporaine » est rarement jouée dans les conservatoires parce qu’il manque à ce répertoire d’avoir été « trituré » par la communauté des enseignants pour le rendre accessible à leurs élèves et à leurs collègues. De grandes œuvres existent, des courants esthétiques passionnants et excitants ont ouvert des perspectives qui continuent d’influencer les créateurs d’aujourd’hui.

Pour le répertoire plus ancien, pour les musiques de film, pour les musiques amplifiées et même pour les musiques traditionnelles on trouve, à foison, des ouvrages écrits par des enseignants. Ces ouvrages collectionnent des œuvres, en proposent des versions adaptées aux plus jeunes élèves et participent ainsi à constituer un répertoire partagé par lequel certaines œuvres deviennent presque des icônes. Ces ouvrages font souvent le lien entre le répertoire proposé et quelques outils d’apprentissage de l’instrument, proposent parfois des repères culturels. Surtout la communauté des « profs » a tellement intégré les compétences nécessaires à telle ou telle œuvre d’avant 1950 qu’un seul coup d’œil suffit à chacun pour savoir comment orienter ses élèves dans ce paysage.

Un élève peut être mis en appétit et fier d’avoir joué la « 9^ème symphonie de Beethoven », quand bien même il n’a joué que les premières mesures du thème de l’Hymne à joie.

Cet élève est intégré à la communauté des musiciens grâce à ce répertoire partagé, et reconnu partout. C’est bien là le rôle des adultes envers les enfants, et plus encore celui des pédagogues (étymologiquement ceux qui conduisent les enfants vers les savoirs), que d’introduire les plus jeunes dans notre société. Ainsi, parce que les enseignants disposent d’outils qui les aident à rendre cette musique accessible à leurs élèves, elle continue d’être jouée et écoutée au lieu de tomber dans l’oubli.

Paradoxalement c’est la musique de création, d’après 1950 jusqu’à celle écrite hier matin, qui bien que plus récente, bien que plus en prise avec notre société, risque d’être oubliée.

Il y a donc ici un autre pari : ce qui vient d’être montré pour Beethoven peut être fait pour les œuvres écrites depuis 1950. En les rendant accessibles chaque enfant se sentira introduit dans cette société de gens – un peu fous il est vrai – qui considèrent que la création artistique est un renouvellement constant. Le répertoire créé depuis 70 ans porte un regard sur l’art – toujours – un regard sur la société – souvent – un regard sur la marche du monde aussi, ce répertoire est chargé d’œuvres fortes qui font partie d’un patrimoine artistique qu’il faut contribuer à faire connaître et continuer de faire vivre.